Un extrait de mon nouveau roman "La place Labadié".
Roman encore dans sa phase de drague éditoriale...
A la belle saison, un pull jeté sur les
épaules, les mains dans les poches, Emile aimait flâner dans les rues étroites
qui séparaient la place des grands boulevards. Entre la fermeture des bureaux
et la tombée du jour, il y avait un espace de calme et de sérénité, à peine une
heure ou deux, durant lesquelles les lieux, abandonnés, semblaient lui réserver
toute leur attention. Il se sentait alors en communion avec eux, envahi par un
sentiment de douceur, étrange pour ce vieux baroudeur, dans lequel il se
laissait glisser avec volupté. Le calme après la tempête, le repos du guerrier,
la petite mort, appelez cela comme vous voudrez, lui savait qu’il avait tourné
la page de la partie tourmentée de sa vie et, loin de le regretter, il lâchait
prise chaque jour un peu plus.
Il était heureux de la tournure que prenait son
existence, satisfait de constater que son projet, qu’il avait si souvent
imaginé durant ces longues années, était en train de se réaliser au-delà même
de ses espérances. Le temps était venu de profiter de ces flâneries solitaires
dans les traces de sa jeunesse. De faire un premier bilan aussi. Au fond, il
n’avait jamais eu l’âme d’un guerrier, mais il avait vite compris que la vie ne
faisait pas de cadeau. Il avait bien fallu se faire violence. Question de
survie. Oui, il avait bien fallu mordre pour être respecté. Il ne regrettait
rien. Ce n’était pas le style de la maison. Tout ce parcours contre-nature
allait pouvoir prendre un sens désormais. Le temps de la rédemption était venu.
Tout en déambulant paisiblement, il souriait à
la comparaison, sur ce même trottoir, entre l’enfant d’hier et l’homme
d’aujourd’hui. Son regard d’alors était plongé en permanence dans le caniveau à
la recherche d’un trésor perdu dans son lit mystérieusement sablonneux où
ruisselait un filet d’eau perpétuel. Il y dénichait une bille, une pièce de dix
centimes. D’autres fois, son imagination, prenant le relais, le réduisait à la taille de ses soldats de
plomb, et il sautait des cascades, se battait contre des crocodiles…
Aujourd’hui, les nettoyeuses
automatiques astiquaient les rues de leur puissant jet d’eau et de monstrueuses
roues balayaient les souvenirs et ne laissaient aucune trace à laquelle se
raccrocher. Alors, comme il avait bien fallu grandir, son regard avait pris de la hauteur,
et c’était le nez en l’air désormais qu’il avançait, scrutant une imposte,
admirant l’ingéniosité d’un acrotère, espérant découvrir un mascaron au-dessus
d’une porte-cochère, le plaisir du beau, du solide, avait remplacé l’ivresse de
l’imaginaire, et l’éternité l’éphémère.
Au fond, pensa-t-il, ce qui différenciait vraiment la jeunesse de la
vieillesse, et c’était paradoxal, se situait dans le temps, plus long, que l’on
prenait pour vivre le même instant présent. Il en restait pourtant si peu, du
temps, oui, mais les trésors étaient devenus si rares ! Et, en pensée, il
vit l’ombre de son enfance le dépasser à toute vitesse, caracolant au-dessus du
caniveau…
J'attends la suite avec impatience ;-))
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